Menu
Libération
TRIBUNE

Jacques Berque, le clairvoyant

Article réservé aux abonnés
publié le 5 juillet 1995 à 6h33

Jacques Berque, le clairvoyant

PAR SAMI NAÏR Si les élites françaises avaient été «berquiennes», si elles avaient eu la vision que Jacques Berque a portée sur le monde arabe, la France n'aurait pas eu besoin d'affronter la tragédie de la décolonisation pour payer le drame de la colonisation. Il y avait trois regards sur le monde colonisé. Le premier était celui de la domination pure, totale, négatrice. Il visait à supprimer, quant au fond, le colonisé pour occulter la colonisation. L'Algérie existe, disait-on, les Algériens n'existent pas. Le mouvement même par lequel on légitimait la nouvelle entité géographique niait les hommes qui la composaient. Ce point de vue a été dominant. Fanatique. Suicidaire. Fou. Il était condamné à échouer.

Le second regard était celui de l'indifférence. Eux, c'est eux; nous, c'est nous. Ce n'était d'ailleurs pas mauvaise volonté... Plutôt une sorte de désaffection d'avec la fâcheuse tendance française à la projection hors de l'Hexagone. Ce regard-là n'est pas le moins important. C'est en réalité lui qui, incarnant le point de vue de millions de Français, fait toujours basculer les choses. La guerre d'Algérie n'a pris fin que parce que les partisans de l'indifférence sont devenus les acteurs de la différence nationale. Les Algériens sont les Algériens, les Français, Français.

Et puis, il y avait le troisième regard ­ celui des rares, très rares Français, à la vérité héritiers de ce qui a pu résulter de meilleur ­ je le dis avec lucidité ­ de l'ent