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Libération
TRIBUNE

Quand l'Occident prend la place du mort

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publié le 17 juillet 1995 à 6h58

Jean Baudrillard est sociologue.Sa chronique paraît le

premier et le troisième lundi de chaque mois.

L'impuissance militaire occidentale à réagir à l'agression serbe est égale à l'impossibilité de mettre en jeu la vie d'un seul de ses soldats. En cela, ils sont devenus des otages bien avant que les Serbes ne les prennent en otage: c'est que leur vie doit être préservée avant tout. Zéro mort: tel est le leitmotiv de la guerre propre. Telle est la perfection de la guerre en même temps que sa décision: celle d'un parcours sportif sans faute.

C'était déjà le cas dans la guerre du Golfe, où les seuls morts occidentaux furent accidentels. Du moins celle-ci s'était-elle soldée par une démonstration technologique qui donnait l'illusion de la puissance (d'une toute-puissance virtuelle). Tandis que la Bosnie offre l'exemple d'une impuissance totale. Et si cette impuissance, qui laisse aux Serbes les mains libres, correspond bien à l'objectif inavoué de cette guerre, elle n'en équivaut pas moins à une castration sumbolique de l'appareil de guerre occidental. Pauvre Occident! Si encore il pouvait remplir allègrement, victorieusement, sa mission d'établir l'Ordre mondial (en liquidant toutes les poches de résistance), mais il lui faut encore assister impuissant, du fond de sa conscience déchirée, à l'exécution de ce sale petit boulot à l'échelon mondial par mercenaires interposés. Assister impuissant à sa propre humiliation et à sa propre disqualification.

Mais cette paralysie militaire n