Aujourd'hui, nous ne pensons pas le virtuel, c'est le virtuel qui
nous pense. Et cette transparence insaisissable qui nous sépare définitivement du réel nous est aussi inintelligible que peut l'être à la mouche la vitre contre laquelle elle se cogne sans comprendre ce qui la sépare du monde extérieur. Elle ne peut même pas imaginer ce qui met fin à son espace. Ainsi nous ne pouvons même pas imaginer combien le virtuel a déjà transformé comme par anticipation toutes les représentations que nous avons du monde. Nous ne pouvons pas l'imaginer car le propre du virtuel est de mettre fin non seulement à la réalité, mais à l'imagination du réel, du politique, du social non seulement à la réalité du temps, mais à l'imagination du passé et du futur (c'est ce qu'on appelle par une sorte d'humour noir le «temps réel»). Ainsi sommes-nous bien loin d'avoir compris que c'en était fini du déroulement de l'histoire avec l'entrée en scène de l'information, fini de la pensée avec l'entrée en scène de l'intelligence artificielle, etc. L'illusion que nous avons encore de toutes ces catégories traditionnelles, y compris l'illusion de nous «ouvrir au virtuel» comme à une extension réelle de tous les possibles ça, c'est l'illusion de la mouche qui prend inlassablement du recul pour mieux se cogner de nouveau contre la vitre. Car nous croyons encore à la réalité du virtuel, alors que celui-ci a déjà virtuellement brouillé toutes les pistes de la pensée. Pour démêler un peu cette confusion, je p