Cher Emir Kusturica, votre film est beau, tendre, furieux,
bouleversant. J'ai ri, j'ai pleuré, j'ai admiré; je fus ému et soufflé. Sortant du cinéma, je constatai une fois encore qu'un artiste avait été projeté au-dessus de lui-même par l'atroce inhumanité d'une guerre. Comme si fixer l'insoutenable obligeait à frôler le chef-d'oeuvre, ainsi Candide de Voltaire, ou, plus près de nous, Kaputt de Malaparte, Vie et Destin de Vassili Grossmann.
Aux diplomates et politiques d'Occident qui ont si peu prévu et perçu, à tous les généraux et aux autorités morales qui laissèrent, quatre années durant, massacrer les populations au coeur de l'Europe, je recommande, toutes affaires cessantes, une cure d'Underground. Ils comprendront après coup pourquoi ils n'ont rien compris sur le coup.
Ils pourraient recueillir quelques lumières susceptibles d'éclairer les conflits à venir.
En apparence, l'action ne se déroule qu'en ex-Yougoslavie et s'arrête pile avant l'agression grand-serbe de la Bosnie-Herzégovine. En vérité, il ne s'agit pas de documentaire ni d'actualité, mais de spéléologie. Vous inaugurez l'exploration d'un abîme spirituel; les enfers de l'âme forgée au communisme entrebâillent leurs portes, et les monstres qui peuplent notre après-guerre froide pointent leur nez.
Emir Kusturica, nous ne nous sommes jamais vus, nous n'avons pas échangé un traître mot, je ne vous connais que par l'écran, donc, comme on dit, pas «personnellement». On le dit à tort, oubliant qu'un cinéaste cristallis