Menu
Libération
TRIBUNE

Souveraineté de la grève

Article réservé aux abonnés
publié le 18 décembre 1995 à 11h11

Difficile de parler de cette grève en des termes qui ne soient pas

banalement politiques ou économiques ­ de ce comportement à la fois banal et insensé, de cette solidarité silencieuse, de cette adhésion quasi joyeuse et excessive des grévistes et des autres à un destin de toute façon sacrifié. Sans doute peut-on y voir une forme d'interrogation radicale sur le fait d'être gouverné (le fait d'être exploité faisant déjà partie d'une vieille histoire). Une interrogation sans réponse comme toutes les bonnes questions. Car le pouvoir n'aura jamais de réponse à cette interrogation: pourquoi nous gouvernez-vous? Pourquoi parlez-vous en notre nom? Pourquoi voulez-vous faire notre bien?

Ça n'a pas été facile de pousser les gens, au fil des générations, dans le travail, dans l'école, dans la santé, dans la sécurité, dans l'économie de leur propre vie. Il a toujours été entendu que les masses ne savaient pas ce qu'elles voulaient et qu'il fallait vouloir et agir en leur place. C'est même là le signe d'une démocratie courageuse: faire le bien des gens contre leur gré. Ainsi les a-t-on évangélisées sous le signe des Lumières et, bon gré mal gré, elles ont laissé faire, elles se sont laissé faire. Aujourd'hui, elles se rebellent contre cette évangélisation forcée. Ou plutôt, elles anticipent sur leur propre disparition (car toutes ces catégories sociales, cheminots, services publics, artisans, sont destinées à disparaître de toute façon, comme les ouvriers et les paysans) mais de façon joy