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Libération
TRIBUNE

Le défi de la douleur

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publié le 8 janvier 1996 à 0h13

La douleur n'est pas un fait physiologique, mais d'abord un fait

d'existence. Ce n'est pas le corps qui souffre mais l'individu en son entier. Elle n'est pas seulement la mesure d'une lésion ou d'une affection mais la rencontre intime dans une condition sociale et culturelle, ayant une histoire propre, et une psychologie qui n'appartient qu'à lui. En éprouvant sa douleur, le sujet n'est pas le réceptacle passif d'un organe spécialisé obéissant à des modulations impersonnelles dont seule la physiologie pourrait rendre compte. La manière dont l'homme s'approprie sa culture, les valeurs qui sont les siennes, le style de son rapport au monde, composent un filtre spécifique dans son appréhension de la douleur. Les ressources personnelles d'imagination, de diversion, la détermination du caractère contribuent à sa modulation. L'homme réagit moins à l'entaille de la blessure ou à l'affection qu'au sens qu'elles revêtent pour lui.

Henri K. Beecher a observé une population de soldats blessés sur le front italien lors de la Seconde Guerre mondiale; il est frappé par l'apaisement de ces hommes après leur évacuation hors du champ de bataille. Même sévèrement atteints, un tiers seulement des blessés demandent de la morphine pour soulager une douleur trop aiguë. Cette tolérance ne doit rien à l'état de choc car elle se prolonge par la suite. Beecher compare l'attitude de ces soldats à celle de patients civils ayant subi une intervention chirurgicale. Leurs lésions tissulaires sont infiniment