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Libération

Deep Blue ou la mélancolie de l'ordinateur

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publié le 1er avril 1996 à 4h13

La confrontation d'un humain et d'un artefact «intelligent»

(Kasparov contre Deep Blue) est hautement symbolique, non seulement par le prestige du jeu d'échecs, mais parce qu'elle résume le dilemme de l'homme face à toutes les machines contemporaines qu'il utilise: informatiques, virtuelles, cybernétiques, en réseaux, etc.; derrière l'usage instrumental, créatif ou interactif qu'il en a, il s'agit toujours au fond d'un match, d'un challenge, d'un défi, d'un affrontement où l'un ou l'autre peut être mis en échec ou perdre la face. Il n'y a pas d'interactivité avec les machines (non plus qu'entre les hommes d'ailleurs, c'est bien là l'illusion de la communication). L'interface, ça n'existe pas. Il y a toujours, derrière l'innocence apparente de la technique, un enjeu de rivalité et de maîtrise. Le jeu d'échecs ne fait qu'extrémiser cette situation.

Donc Kasparov a finalement vaincu l'ordinateur, et tout le monde en fut bien soulagé, car c'était un peu l'honneur de l'espèce qui était en jeu. Même si l'intelligence humaine doit un jour s'avouer vaincue, ce moment doit être repoussé le plus loin possible. C'est d'ailleurs ce qui rend cette victoire légèrement ambiguë, car même si elle n'était pas truquée (et elle ne l'était certainement pas), Kasparov ne pouvait pas, de toute façon, ne pas gagner.

L'homme rêve de toutes ses forces d'inventer une machine plus forte que lui, en même temps il ne peut pas envisager de ne pas rester maître de ses créatures. Pas plus que Dieu. Est-ce que