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Libération
Analyse

La grande originalité dans cette mythologie, c'est qu'elle transforme une histoire factuelle en prise de position éthique contre l'injustice du monde. Le Che, un destin transformé en vertu.

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publié le 11 octobre 1997 à 11h46

Je ne voulais pas y croire. Ou alors, il fallait accepter la

défaite" C'était en octobre 1967. Cela faisait tellement longtemps qu'ils l'espionnaient, le pistaient, le pourchassaient avec les moyens les plus perfectionnés, les agents les plus retors, les militaires les plus aguerris. Depuis plusieurs semaines, on disait le Che encerclé, traqué à Nancahuazu, lâché par les paysans qu'il était venu libérer, trahi par les communistes prosoviétiques boliviens. La presse US parlait de lui avec haine: l'Amérique du Nord, qui dictait sa loi depuis si longtemps déjà aux pays d'Amérique latine ne pouvait accepter que le Che multiplie l'exemple de Cuba. Il fallait donc qu'il meure, ce don quijote, ce desperado abandonné de tous.

Vers la fin de cet après-midi d'octobre, je vis en première page de France-Soir, son visage pétrifié, ses yeux perdus dans la profondeur de l'éternité, son buste nu, troué par des points noirs, sa chevelure noire, bouclée, troublante, son corps allongé, Christ descendu de la croix. Vaincu mais déjà victorieux dans sa défaite. Et je me surpris à pleurer.

J'avais 20 ans: c'était lui qui a lancé notre génération sur les pavés de Paris, lui qui nous a donné des mots plus terribles que les balles, lui qui nous apprît que la mort n'était rien, ne pouvait rien contre la justice. Et lorsque nous marchions, en rangs serrés, à Paris et ailleurs, criant: Che, Che, Guevara! Ho-Ho, Ho Chi Minh! c'est lui qui du fond de sa mort, en Bolivie, nous guidait vers le soutien à nos f