Je m'étais trompé. Il y a deux ans, j'écrivais: «La France devient
un Brésil triste», où l'opulence de ceux d'en haut contraste de plus en plus avec l'exclusion de ceux d'en bas. La Coupe du monde est passée: l'erreur est corrigée. La France devient un vrai Brésil. Elle l'a écrasé dans ce sport dont le Brésil est le royaume. Et surtout elle a appris la fête.
Déjà, tiers-mondisée, latino-américanisée par vingt ans de libéralisme, de précarisation, elle avait appris le style politique latino-américain, avec ses populistes de droite et de gauche, ses présidents qui se couchent, fraîchement élus contre la fracture sociale, et se réveillent meilleurs élèves du FMI ou de Maastricht. Mais elle a appris beaucoup mieux. Elle a réappris la fête. «Il n'y a plus de barrière, de classe, de race ou de sexe, s'extasient les supporters de la victoire. On s'embrasse, on se parle. Il faudrait refaire ça tous les ans!» Au Brésil, cette fête annuelle existe: c'est le Carnaval. Fêter un match comme un Carnaval, voilà ce que sont venus nous apprendre, en dernière semaine, les malheureux supporters brésiliens. «Les Français sont incroyables, sermonnait le maître Chico Buarque. Une heure après le match, il faut déjà arrêter de klaxonner.» Et voilà: l'élève a dépassé le maître.
Après une folle nuit, la France bouleversée s'est endormie black-blanc-beur, exténuée, heureuse, réconciliée avec sa vraie nature.
Comme le Brésil, où, depuis des lustres, Pelé est roi, où la Seleção est uniformément café au lait