Voilà déjà dix ans que tu as disparu. Tu es parti auréolé de gloire,
pleuré par les médias du monde entier dans une débauche de reportages et d'hommages posthumes.
Toi qui, de ton vivant, as été moqué, raillé par les critiques d'art qui te jugeaient «farfelu» et trop mercantile (combien de fois t'a-t-on ressorti le fameux Avida Dollars?), te voici après ta mort encensé comme l'un des plus grands peintres du siècle, un génie, un visionnaire" Les rares toiles authentiques qui émergent d'une mer de fausses lithographies et de faux tableaux se négocient très cher. On te redécouvre, et par la même occasion, on me demande de le raconter: Alors, Dali, il était comment en vrai? Vous qui l'avez bien connu, était-il vraiment fou? Ou était-ce un simulateur?" Bien sûr que je t'ai connu, tout le monde le sait, et je suis sûrement la seule qui ai eu le privilège de vivre dans ton intimité, éblouie par ta gloire, pendant dix-huit ans! Et donc, cela me qualifie pour répondre à tes chroniqueurs? Cela me donne aussi le droit d'authentifier toutes ces toiles que je t'ai vu peindre?" On me demande de parler de toi dans un documentaire de la BBC, dans un programme allemand, ou sur Arte. On veut même faire un téléfilm de la biographie que j'ai écrite (les Américains, évidemment). Bref, j'ai l'impression d'être ta veuve! Me voici devenue spécialiste ès Dali pour le restant de mes jours" Et dire que je n'aimais guère ta peinture! D'ailleurs je te l'avais dit insolemment lors de notre première rencon