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Libération
TRIBUNE

Témoignage. «J’avais 17-18 ans, je savais que l’on mourait du sida. Et ne me dites pas que j’étais plus fine que trois ministres réunis.» En 1985, même moi, je savais.

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par Catherine Dufour
publié le 11 février 1999 à 23h42

1984. Ou 85? J’ai 17-18 ans et je vais donner mon sang boulevard Raspail en compagnie d’une poignée de copines. Quelques jours plus tard je reçois des résultats: je n’ai ni la vérole ni le sida. Je ris: j’étais encore pucelle des genoux au nombril. Mes copines rigolent aussi. Et on discute.

Que savions-nous du sida à l'époque, nous qui n'étions ni ministre, ni médecin, ni journaliste, ni philosophe, ni historien, ni même majeur?

Nous savions déjà que le sida était une maladie mortelle dans bon nombre de cas, et sans remède connu. Peut-être bien que c'était LA nouvelle MST à la fois mortelle et contagieuse, un truc que personne n'avait envie d'attraper. Nous savions déjà que nous ne pourrions pas avoir la même insouciance sexuelle que nos parents. D'ailleurs nous ne l'avions pas. Nous savions déjà que Klaus Nomi en était mort. «Oh! Si ça tue les rock stars, c'est que c'est pas pour du faux!»

«Tu sais quoi?, me disait ma copine Odile, le sida c'était obligé. Regarde: le chocolat c'est très bon au goût et c'est mauvais pour la santé. Et les épinards, mauvais au goût mais très bon pour la santé. Ça existe pas, un truc agréable qui soit bon pour la santé. Tu imagines, un chocolat qui ferait maigrir? Y avait que le sexe qui rentrait pas dans les cases: très bon à pratiquer et très bon pour la santé. Ça m'étonnait. Alors le sida, c'était obligé.»

Et il nous paraissait très normal que nos dons de sang soient testés. Jamais, au grand jamais nous n'avons imaginé ce scénario cauchemard