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Libération
TRIBUNE

Il est vain de plaquer nos visions de l'économie et du social sur la Russie. Et il faut aujourd'hui accepter de financer sa reconstruction afin qu'elle participe à l'Europe que nous sommes condamnés à bâtir, de l'Atlantique à l'Oural. La Russie peut aider l'Europe.

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publié le 25 février 1999 à 23h52

En 1970, Alexander Gerschenkron publia sous le titre Europe in the

Russian Mirror un des textes les plus brillants jamais consacrés à cette extrême Europe qu'est la Russie. Au travers de plusieurs siècles marqués par le souci constant des Russes de combler leur retard de développement par rapport à l'Europe occidentale, tout en préservant leur spécificité euro-asiatique, il mettait en évidence le rôle fondamental qu'avait joué l'Etat dans le processus d'industrialisation du pays.

A un moment où la Russie semble abattue par la crise financière, il faut relire Gerschenkron pour saisir, au-delà du chaos, les signes de réémergence d'un modèle d'économie nationale progressivement ébauché par le gouvernement actuel, associant étroitement l'Etat à un objectif de réindustrialisation protégée. Pour comprendre aussi que, comme nous le reconnaissons aisément pour les autres géants émergents, notamment la Chine et l'Inde, il est vain de plaquer mécaniquement sur cet immense pays nos visions du monde, de l'économie et des rapports sociaux. Pour son plus grand malheur, la Russie est en effet devenue dans les dernières années le champ d'application privilégié de nos dogmes, alors qu'elle aurait dû être celui de nos incertitudes. D'où nos exigences déraisonnables, car définies in abstracto, comme si la Russie était un objet de laboratoire économique où les notions de marché, d'Etat, de système bancaire seraient des données allant de soi: tandis qu'ils apprenaient à peine ce qu'était un contra