Les Etats-nations, selon une idée répandue, incarneraient, à partir
d'une certaine date historique, un ensemble de faits préexistants une communauté linguistique, culturelle, géographique , bref, récapituleraient et institutionnaliseraient une tradition. Tout faux! dit aujourd'hui une spécialiste du fait national, Anne-Marie Thiesse. Les identités nationales sont au contraire, soutient-elle, un cas typique de ce pour quoi l'historien britannique Eric Hobsbawm (lui-même observateur du nationalisme) a forgé l'oxymoron d'«invention de la tradition». Mais déjà, avant eux, Marcel Mauss n'avait-il pas prévenu: «Alors que c'est la nation qui fait la tradition, on cherche à reconstituer celle-ci autour de la tradition»?
Vers 1760, un jeune intellectuel écossais publie sa traduction d'un vieux barde inconnu, Ossian. Rarement un livre a trouvé en Europe autant d'écho que l'oeuvre de ce faussaire qui prétendait restituer la mémoire ancestrale des tréfonds celtes. Du coup, aux quatre coins du continent, de la Bohême à la Finlande, de la Dalmatie à la Russie, apparaissent de pseudo-manuscrits «miraculeusement retrouvés après des siècles d'oubli et aussitôt portés disparus», qui fondent de nouvelles légendes des siècles. Les peuples d'Europe se découvrent, par le truchement d'aèdes mythiques, un passé fabuleux, peuplé de héros fondateurs. Contre le classicisme antiquisant mais aussi contre le rationalisme universaliste, la référence se fait tout à la fois nationale et populaire quoiqu