Je quitte Belgrade après ses premières nuits de calme. Au nom de la
raison, qui de nos jours est le plus hasardeux des crédits, je veux croire que j'ai partagé avec cette ville ses dernières nuits d'insomnie. J'ai occupé la chambre 411 de l'hôtel Moskva, tout en haut de la rue Balkanska. On m'a affecté au dernier étage, le cinquième, et ce n'est pas une marque de faveur dans une ville sans lumières ni ascenseurs, ni une marque de sollicitude envers qui se verrait contraint de descendre à toute vitesse. Mais ce fut un grand honneur pour moi de me mettre à cette fenêtre pendant les dernières, et je tiens à insister sur dernières, nuits d'attaques aériennes.
De là-haut, je voyais les ponts sur la Save qui mènent à la ville nouvelle, Novi Beograd, où se trouve le moignon rôti d'un gratte-ciel et où était l'ambassade de la République populaire chinoise.
Je n'ai pas cherché l'accréditation de journaliste. Je ne le suis pas et je n'étais pas là pour rapporter des informations. Je suis resté là pendant sept nuits pour partager un septième de guerre d'une capitale d'Europe martelée par une autre Europe et par le gouvernement de mon pays. Je n'entendais pas faire un geste pacifique d'opposition, mais le plus violent dont je disposais. Je suis allé à Belgrade et j'aimerais écrire que j'ai été avec, cum, cette ville, mais ce ne serait pas juste. «Avec» est la plus forte des prépositions, celle de l'alliance et je ne l'ai pas goûtée. Personne n'est avec Belgrade, cette ville est seule au