Curieux livre, tout en clair-obscur. En 1967, à peine deux ans après
l'enlèvement à Paris suivi de disparition de l'opposant marocain Mehdi Ben Barka, Jacques Derogy achève un manuscrit sur ce qui est considéré comme «le plus grand scandale de la Ve République». C'est un travail magistral, sobre et précis, d'une belle distance critique, et qui faisait suite à la première enquête menée par l'auteur pour l'hebdomadaire l'Express, en équipe avec Jean-François Kahn. Pourtant, Derogy, décédé en 1997, ne publia pas ce manuscrit de son vivant. Retrouvé après sa mort dans ses archives par sa femme, il est aujourd'hui publié, augmenté d'une deuxième partie écrite trente ans après par Frédéric Ploquin.
L'enquête minutieuse de Derogy, qui justifie de le présenter comme l'«initiateur du journalisme d'investigation en France», se terminait sur de lourds soupçons. Georges Figon, le fils de bonne famille ayant tourné voyou, aurait été «suicidé» après une cavale à Paris de plusieurs mois afin qu'il ne désavoue pas sa confession publiée le 10 janvier 1966 dans l'Express sous le titre accrocheur «J'ai vu tuer Ben Barka». Dans ce récit, enregistré de façon à peine audible sur une cassette qui devait disparaître par la suite, Figon décrit la mise à mort de Ben Barka par le général Oufkir, alors n° 2 du régime marocain, qui aurait taillé en pièces l'opposant pour lui extorquer ses secrets.
Derogy conclut que Figon devait disparaître parce qu'il en savait trop sur les implications françaises da