«On vous ment, on vous trompe.» Inlassablement répétée depuis trois
mois par un certain nombre d'intellectuels et d'hommes politiques, une telle affirmation a de quoi troubler ceux qui croyaient à la bonne foi des alliés dans l'affaire du Kosovo. Et, puisque aucun intérêt économique ou stratégique ne pouvait légitimer l'intervention dans les Balkans, on a en ce domaine usé et abusé jusqu'au délire de la surinterprétation. Si l'Amérique avait «entraîné» l'Europe dans cette sale guerre, c'était pour mieux la dominer, creuser des fleuves de sang entre elle et la Russie, achever sa mainmise sur le monde ou, pire encore, dans un acte de duplicité diabolique, permettre à Milosevic d'éliminer ses minorités musulmanes afin d'instaurer une Europe entièrement «blanche». Bref, naïfs et cocus que nous sommes qui prenons les faits pour ce qu'ils sont, nous aurions été en cette affaire les victimes d'une gigantesque fantasmagorie, d'une monstrueuse propagande montée par les médias occidentaux asservis au Pentagone et à la Maison Blanche.
Entendons-nous: la morale du soupçon est à la fois la grandeur et la servitude du journalisme (et de tout travail intellectuel en général). Elle contraint ceux qui s'en réclament à multiplier les points de vue, à vérifier inlassablement les sources, à se méfier des rumeurs, des témoignages trop poignants, à éviter le pathos et surtout à mettre de côté leurs préjugés, leurs préférences ou leurs options politiques. Mais vient un moment où il faut reconnaître