La modernité est l'avènement du bruit. Le monde résonne sans relâche
des instruments techniques dont l'usage accompagne la vie. Mais la parole elle même est sans fin, relayée par tant de porte-voix. Non pas celle toujours renaissante et heureuse de la communication journalière avec les proches, les amis ou les inconnus, celle-là demeure et donne chair à la sociabilité. Mais une autre parole a changé de statut anthropologique: celle des médias, des réseaux, ou même celle que relaient interminablement les téléphones portables comme s'il était impossible de se débrancher un instant sans courir le risque de perdre le contact, de manquer une information essentielle. Image significative du soliloque au milieu de la foule, avec des gestes et des mimiques adressés au vide, mais sous le regard de tous.
Cette parole prolifère, et ne sachant plus se taire, elle court le risque de ne plus être écoutée. Envahissante et rassurante, elle érige une communication fondée sur le seul contact, où l'information est secondaire, où il importe plutôt de manifester la continuité du monde ou la sienne propre. Comme la musique, elle se transforme en données d'ambiance. Bruissement singulier et sans conséquence dans son contenu, essentielle seulement par sa forme. Son message ne cesse de rappeler que le monde existe encore et toujours. La «communication», en tant qu'idéologie moderne est une confirmation réitérée des individus dans leurs positions réciproques de locuteurs et de récepteurs, une manière de