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N’écoute pas les esprits chagrins

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Après Salman Rushdie hier et son texte «Imagine qu’il n’y a pas de paradis», Maryse Condé célèbre à sa manière la naissance du six milliardième humain dont l’ONU a fixé la date à ce mardi 12 octobre. Trois autres écrivains suivront tout au long de la semaine.
par Maryse CONDE
publié le 12 octobre 1999 à 1h10

Je te vois naître, six milliardième citoyen de notre monde, par un matin ensoleillé, dans la maternité du Centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre, petite ville de la Guadeloupe, petite île des Caraïbes où les hasards et les déboires de l’Histoire font que l’on parle français. Depuis des semaines, l’échographie avait révélé que tu serais une fille ou un garçon (qu’importe?) Aussi ton sexe n’est une surprise pour personne. Ta naissance est sans problèmes. Tu es un beau bébé. Tu as hurlé dès ta venue au jour. Tu as deux bras, deux jambes. Ton coeur bat bien la chamade. Le médecin-accoucheur qui a fait ses études en France est content. Les infirmières en blouse blanche t’enfilent tes habits tout neufs et te déposent dans les bras de ta maman dont tu ne connais pas encore la figure. Seulement la voix, car vous vous êtes parlés pendant ces neuf mois que tu as passés à l’intérieur de son ventre. Et tu auras toujours la nostalgie de ce temps que tu as vécu, te nourrissant, t’abreuvant d’elle, lié à elle, comme tu ne le seras plus jamais. Ta fragilité l’intimide. Elle n’ose embrasser ta joue couleur de sapotille.

Au début de l'après-midi, ton papa vient te voir avec tes deux grands frères qui reviennent du collège, sac au dos. Tu n'es pas le premier enfant de la famille, sans doute pas le dernier. Quand même, une naissance est toujours un bonheur et ton papa l'a annoncée gaiement par téléphone à tous les parents. Avec ses camarades de travail, il a vidé une coupe de champa