Une étrange doctrine a longtemps prévalu parmi les professeurs de
philosophie: celle-ci serait à elle-même sa propre pédagogie. Le raisonnement est imparable: puisque seule la philosophie est en droit de dire ce qu'est «la philosophie» et ce qu'est «enseigner», non seulement le professeur de philosophie a le devoir d'ignorer ce que d'autres discours pourraient avoir à lui apprendre sur les conditions, les modalités et les effets de son activité, mais, plus encore, aucune réflexion pédagogique proprement dite ne doit lui être demandée: pour bien enseigner la philosophie, il suffit de disposer du niveau de connaissance théorique attestée par le succès au Capes et surtout à l'agrégation.
On ne s'étendra pas ici sur les raisons du succès de cette idéologie professionnelle ou, si l'on préfère parler comme Diderot, de cet «idiotisme de métier»: position d'exception et de supériorité d'une matière enseignée une seule année, au terme et en couronnement des études secondaires; image autovalorisante d'une discipline d'autant plus noble qu'elle est indéfinissable; image idéalisée de l'enseignant de philosophie, penseur avant d'être professeur, choisissant ses modèles parmi ces figures héroïques qui, de Socrate à Cripure, ont cultivé l'originalité absolue.
Mais, depuis une vingtaine d'année, les bénéfices narcissiques de cette belle posture se paient au prix fort. Avec la massification de l'enseignement secondaire, sont arrivés jusqu'en terminale des élèves qui, par leurs milieux sociaux e