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Libération
TRIBUNE

La pollution des côtes par le fioul de TotalFina est le symbole du cynisme des grandes entreprises et de leur puissance. Le capital vous emmerde

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par Pierre Alferi
publié le 31 décembre 1999 à 2h14

Quel nom donner à cette substance qui encroûte les rochers, recouvre

le sable puis se laisse recouvrir par lui, flotte au large en nappes irisées, englue tant les oiseaux que seul l'expert peut en deviner l'espèce? On parle pétrole, mazout, fuel, voire fioul; dans le doute, donnons-lui le nom qui évoque le mieux son aspect et son effet: c'est de la merde. A Port-Saint-Nicolas, elle s'est collée au goémon; le résultat ressemble aux paquets de poils mêlés de savon dans les siphons de douche, en beaucoup plus visqueux, en beaucoup plus infect, sur des centaines de mètres carrés. Si visqueuse qu'on ne peut la décoller des cirés au Kärcher et au white-spirit, si infecte qu'elle souille à travers le plastique.

Quand on a marché dans la merde, quoiqu'on n'y soit pour rien, le dégoût vire à la honte, on n'a pas le coeur de se pencher dessus et on ne s'en vante pas. Le jour où l'on a su que la chose avait touché l'île, je ne suis pas descendu voir. Le lendemain, reconnaissant peu de visages parmi les pompiers et touristes en ciré jaune munis de fourches et de poubelles, j'ai pensé que mes voisins étaient sous le choc et la tempête, ou en avaient vu d'autres. Dès le surlendemain, ils furent là, dont une vieille dame qui remplit de cadavres mazoutés les sacs fournis par la mairie. Mais cette brève réticence a peut-être une raison de principe: pourquoi céder lorsque, après vous avoir chié dessus, on vous demande de nettoyer? N'est-ce pas une technique d'humiliation classique chez les gang