Samedi.
«Chaque homme est un artiste, c'est là ma contribution à l'histoire de l'art», aimait à répéter Joseph Beuys. Si tel était le cas, chacun, en France, aurait perçu et vécu la grande décimation des arbres comme une catastrophe personnelle. Il y a eu certes, ici ou là, des forestiers pour dire leur pitié et leur douleur. Mais c'est en termes de mètres cubes de bois qu'a été spontanément formulé le désastre. Nul ne saurait négliger les données chiffrées ni les conséquences économiques de la tempête des tempêtes. L'art, cependant, c'est le regard arriéré qui, dans les vaches, voit les vaches, pas seulement le beefsteak, et dans les arbres, les arbres, pas seulement le bois. L'art consiste à ne pas laisser la nature se dissoudre en moyens de production, en objets de consommation ou en symboles mathématiques; l'art, c'est la part de nous-mêmes qui résiste à Galilée et qui nous met en garde contre la tentation décrite ainsi par Husserl: prendre pour l'être vrai ce qui est méthode.
Mais en parlant de l'artiste qui sommeille en tout individu, Beuys devait avoir à l'esprit autre chose que l'attention et l'arriération du regard. Car c'est le lien de soi à soi et non la relation au monde qui fait aujourd'hui l'artiste. Si on parle encore de vérité dans l'art, c'est au sens de vérité intime, et l'on ne conçoit pas d'autre modalité de la révolte que le combat contre les forces qui brident, étouffent ou censurent la subjectivité. L'art est pensé comme expression, non comme attention.