Les médias russes dressent un mur virtuel entre leur public et le monde: ils ne donnent en effet que très peu d'informations internationales qui ne soient pas en rapport direct avec les affaires russes. Ceux qui s'intéressent au sort de la planète en sont réduits à acheter la presse étrangère, à capter des radios étrangères, à s'abonner à l'Internet et à des réseaux de télévision par satellite. Mais ces possibilités restent le privilège d'une couche de gens cultivés et aisés; l'intelligentsia aux revenus modestes, surtout en province, n'a à sa disposition que les radios étrangères.
Les grands médias étant contrôlés par des magnats industriels et financiers étroitement liés à l'élite gouvernante, on pourrait penser que cet isolement reflète leurs souhaits. Car ni ces magnats, mal vus en Occident, ni cette élite ne veulent d'une société civile ouverte. Il n'en demeure pas moins que la presse, soumise à une rude concurrence, ne pourrait ignorer l'actualité internationale, si le public s'y intéressait. Cet enfermement volontaire reflète une vraie déception des Russes: l'ouverture aux changements démocratiques et au marché ne leur a pas apporté la prospérité escomptée, une grande partie de la population s'est appauvrie, et le pays a subi un grave choc psychologique provoqué par sa perte d'influence et de prestige sur la scène internationale. Pareille frustration, conjuguée aux rêves de grandeur, ne présage rien de bon: nous assistons au retour précipité de la vieille méfiance des