Je l'aimais bien, ma tour Eiffel. Depuis que le baron l'avait
plantée au beau milieu du Champ-de-Mars, les jambes écartées et la tête dans les nuages ou dans les étoiles, elle avait bercé mes rêves. Je l'aimais bien parce qu'elle était sobre et pudique dans sa robe de métal ajourée. Discrète aussi, puisqu'elle avait choisi de dormir debout, alors qu'un lit de 300 mètres lui eût été nécessaire si elle avait eu la fantaisie de vouloir s'allonger. Infatigable, dressée sans défaillance dans le ciel de Paris. Secrète, pour n'avoir jamais révélée ce qu'elle avait pu surprendre. Rebelle, pour avoir su résister, aux jours les plus sombres de l'histoire de la ville. Je l'aimais bien telle qu'elle était et telle qu'elle devait, à mes yeux, demeurer. Alors, pourquoi a-t-elle consenti à servir de calendrier lumineux pour égrener jusqu'à l'ultime instant les fantasmes de la fin de ce siècle? Comment a-t-elle pu admettre d'offrir ses hanches au chronomètre de nos inquiétudes? Que pour le passage fatal à l'autre millénaire elle ait accepté de s'embraser, l'espace d'une folle soirée, lui sera pardonné. Les femmes les plus sérieuses s'enflamment, parfois, pour moins que cela. Mais, de grâce, qu'elle se ressaisisse et qu'elle reprenne, sans plus tarder, son existence verticale, austère et pure, en se dépouillant des lumières et des strass dont elle est encore parée. Ma tour n'a pas besoin de bas et de jarretelles sur ses cuisses offertes, ni de scintillements pour être désirable. Elle ne sera