Comptabiliser les seuls tués lorsqu'on parle des victimes de la
route relève de la distraction arithmétique et de l'obscénité profonde. Comment oublier les blessés graves, les handicapés temporaires de la vie, les cicatrices et les traumatismes forés à jamais dans le coeur et le destin des accidentés et de leurs proches? Ne pas oublier ces mutants comateux qui ne sortent plus de leurs nuits enferraillées et ces petits bouts d'enfants rapiécés avec des pièces de métal et des machines. Tous ceux-là hantent les couloirs des hôpitaux, les chambres solitaires et les voies de garage dans lesquelles le destin et des idiots automatisés les ont précipités. Tous ceux-là pleurent, en silence, et n'ont plus que ça, les pleurs.
Ce 12 octobre 1997, D. rentre vite, trop vite, à 140 km/h dans sa base militaire, près de Dijon. Il vient de quitter sa femme, sa fille nouveau-née en Allemagne. 140 km/h sur une nationale, il dépasse un véhicule, franchit la ligne blanche continue, franchit l'interdit, aperçoit un véhicule qui vient en sens inverse, insiste et percute le véhicule qui vient en face. Sa BMW fait des tonneaux, s'enflamme, il s'extirpe et s'en tire très bien: foulure à la cheville, 24 heures d'arrêt de travail. Vitesse limitée à 90 km/h.
Dans l'autre voiture, quatre étudiants, qui rentrent à Besançon, après être venus à Dijon pour une expo, qui écoutent Le Masque et la Plume. Tranquillement, 70 km/h. Dimanche soir. Trois sont légèrement blessés: côtes fêlées, genoux ouverts. Pour la c