On a, d'une certaine façon, tout compris dès la dix-septième ligne
de la première page du dernier opus de Régis Debray, écrit consécutivement à un périple de l'auteur au Kosovo dont il fit une très controversée «Lettre d'un voyageur au président de la République» publiée par le Monde (1). Le préambule de son livre à peine entamé, il qualifie Ibrahim Rugova, qu'il semble au demeurant tenir en bonne estime, de «chef spirituel d'un peuple en lutte». Chef spirituel? Tiens donc. Est-ce parce que cette figure effectivement éminente de la résistance kosovare est un pacifiste déclaré qu'il faut en faire une autorité religieuse, une sorte de dalaï-lama des Albanais? Pourquoi ne pas le désigner tout simplement comme le chef d'un des partis de son pays, la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), ou même comme «le président élu» des Kosovars?
Sans vouloir jeter la pierre à l'auteur pour cette seule énonciation désinvolte d'un titre de «chef spirituel» que l'intéressé, universitaire athée et démocrate, serait le premier à décliner, elle vaut quand même qu'on s'y attarde, tant elle est révélatrice d'un déni d'existence politique des Kosovars. On est là au coeur de l'ambiguïté intellectuelle de l'ouvrage. Plutôt que de s'expliquer sur sa démarche qui pourrait avoir trait au Kosovo, et plus généralement au conflit des Balkans où il fit cette incursion, désarçonnante aux yeux mêmes de ses plus fidèles lecteurs, l'auteur s'applique à détourner les regards sur autre chose, en l'occurrence l'horreur