L'histoire est en gésine au Maroc. Aussi, le premier livre sur
l'après-Hassan II ne peut-il être que provisoire, à l'instar du royaume en transition. Christine Daure-Serfaty dresse son bilan d'étape sous la forme d'une «simple lettre à [ses] amis de France et d'ailleurs», chronique personnelle des changements en cours.
Neuf mois après la mort d'un monarque qui s'était lui-même comparé à Louis XI et l'accession au trône de son fils Mohammed VI, peut-être trop vite surnommé «le roi des pauvres», elle glisse de son doigt expert sur la suture entre un passé lourd et un avenir incertain. Son livre vaut autant par la qualité des questions qu'il soulève que par la rectitude avec laquelle il écarte des réponses faciles. «Est-ce encore possible, est-ce déjà possible? Entre le "encore et le "déjà, trente ans ont passé, trente ans de misère, de tortures, de prisons; trente années noires, un gouffre. Pourrons-nous le combler? Pourrons-nous simplement l'oublier?» En rupture dynastique, le «royaume exemplaire» de Lyautey se cherche entre anamnèse et amnésie.
Il y a quelque justice à ce qu'il revienne à Christine Daure-Serfaty de nous faire remonter le fleuve de l'oubli. Non seulement parce qu'elle est l'épouse d'Abraham Serfaty, l'opposant marocain privé de liberté pendant vingt-six ans dont le retour d'exil, en septembre dernier, a été «le premier signe fort du changement tant attendu». Mais aussi parce que l'enseignante française, partie en 1962 comme coopérante au Maroc et expulsée quator