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Libération
TRIBUNE

Face à l'avalanche d'hommages intéressés. On n'hérite pas de Sartre.

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par François Noudelmann
publié le 29 avril 2000 à 23h41

Lors de l'enterrement de Sartre, quelques haineux de droite

pouvaient encore stigmatiser le corrupteur de la jeunesse, et des réactifs de gauche, ayant souffert de l'ombre portée, ont espéré voir soudain l'horizon intellectuel dégagé. Vingt ans après, les invectives fusent plutôt entre les héritiers, les défenseurs patentés, les récupérateurs attentionnés, les doctes réévaluateurs. On se dispute cette auguste paternité. Mais n'est-il pas étonnant de convoquer ces mots d'héritage, de descendance, de filiation pour parler de Sartre? C'est-à-dire d'un sujet qui, en amont, n'a cessé de dénoncer son propre héritage, rejoignant la confrérie des orphelins de père, tels Camus ou Barthes, et qui n'a jamais voulu hériter de lui-même, refusant d'exploiter sa propre pensée, vampirisant les autres pour mieux les détourner et les abandonner, faisant l'éloge de la trahison, signe de liberté d'une conscience toujours projetée au-delà d'elle-même.

Cette fuite en avant a son envers: semer tous ses pisteurs, refuser d'incarner le père, ne pas se laisser imposer ce rôle paternel et commandeur. Mais aussi voler la critique aux autres: pas de meilleur critique de Sartre que Sartre lui-même, lâchant ceux qui voulaient en faire un phénoménologue, un penseur de l'éthique, un marxiste" D'où le scandale de la fin, lorsque Sartre échappe encore à ses plus proches, et choisit Benny Levy pour interlocuteur privilégié et passeur clandestin de Levinas, inaugurant un dialogue dont on n'a pas encore mesuré la