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Libération
TRIBUNE

Paradoxal bénévolat.

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publié le 13 juin 2000 à 2h09

Sisyphes obstinés, des nuées de bénévoles opposent chaque jour sur les côtes océanes leur bonne volonté à l'interminable désastre de la marée noire. Le statut philosophique et politique du bénévolat fait problème. Les bénévoles sont-ils des humanitaires? Sont-ils des militants? Sont-ils des politiques? Ou bien avons-nous affaire, avec le bénévolat, à une réalité inédite?

Le retrait de l'Etat, celui des politiques, l'assèchement du militantisme laissent réapparaître une couche plus ancienne, qui avait été recouverte par la modernité économico-politique, du rapport des hommes au monde: le bénévolat. Celui-ci se mélange avec l'humanitaire sans cependant en venir à se confondre avec lui: tandis que l'humanitaire est une pratique et une idéologie nouvelles, issues d'une rupture dans la philosophie à la fin du XXe siècle, le bénévolat exprime le retour d'une forme de civilité, de sens et de décence communs, de «common decency» pour parler avec les mots d'Orwell, que le capitalisme avait refoulée. Le contenu du bénévolat consiste dans une générosité précapitaliste: une vieille civilité datant d'avant la généralisation des rapports marchands, une humanité qui précéda les «calculs égoïstes de l'intérêt» dont des résidus survivent, se trouvent réactualisée ainsi. L'état d'esprit des bénévoles exprime un reste de civilisation, manifestant une posture devant la vie qui nous vient d'avant le capitalisme, antécapitaliste, une socialité liée à l'entraide non marchande; il traduit la survie