Deux livres récemment parus aux Etats-Unis font couler beaucoup d’encre, celui de Peter Novick, The Holocaust in American Life (éd. Houghton Misslin 1999) et, tout dernièrement, celui, fort provocateur, de Norman Finkelstein, The Holocaust Industry (éd.Verso 2000). Tous deux évoquent la place pathologique que la Shoah en est venue à occuper dans la vie américaine, identifiant, chacun à sa manière, ses perversions et ses distorsions. Plus proches de nous, quelques joutes littéraires de nos penseurs parisiens font écho à certaines des préoccupations de ces auteurs américains. Quelle est donc la fonction assignée aujourd’hui à la Shoah dans l’identité juive? Quel sens donner à une omniprésence allant bien au-delà de sa signification réelle comme événement historique et de ses répercussions tragiques sur le destin juif contemporain? Il ne s’agit pas, ici, de remettre en question ce que fut la Shoah, ni le nombre de ses victimes, ni le poids de ses souffrances, mais de mesurer les dangers que courent ceux qui en font l’élément majeur de leur identité, soit pour remplacer la tradition et la culture juives perdues, soit, tout simplement, pour se situer dans la différence.
Je suis une praticienne de l’histoire des juifs, qui écris cette histoire et l’enseigne. Quelle ne fut ma surprise le jour où, à ma sortie d’un amphithéâtre bondé, un étudiant me poursuivit pour me dire: «Comment est-il possible que vous enseigniez la Shoah sans pleurer, le sourire aux lèvres?» Pendant des semaines