Monsieur le journaliste,
Je n'ai guère l'habitude de figurer dans les listes de pétitionnaires ni de prendre d'assaut les pages des journaux ou les écrans de télévision pour faire écho aux idéologies «tendance». Ma tour d'ivoire d'universitaire me convient d'ordinaire assez bien, et les longs parcours solitaires de la recherche ne me rebutent guère.
Ecrivant et enseignant l'histoire des juifs, des juifs qui ont vécu, et pas seulement des juifs qui sont morts, je ne puis cependant ignorer ni taire les égarements dont j'ai cru bon de faire état dans l'article suscitant aujourd'hui votre colère. Après tout, je n'ai guère innové, mais ai jugé de mon devoir de simplement dire ce que beaucoup pensent tout bas, parfois dans la douleur. Le courrier abondant que j'ai reçu le prouve.
Loin de vouloir donner des leçons à qui que ce soit, j'ai seulement essayé, comme citoyenne, et dans le respect du judaïsme et de ma judéité, de tirer une sonnette d'alarme face à une certaine instrumentalisation de la Shoah susceptible de conduire à sa banalisation dans l'oubli, hélas, de ceux qui en furent et en sont encore les vraies victimes. Je ne suis certes qu'une modeste enseignante, mais je n'ai pas la vocation de distribuer bons et mauvais points dans le bruit et la fureur. Ai-je jamais mis en question les immenses mérites de Raul Hilberg, de Primo Levi ou de Claude Lanzmann? Je me suis, comme d'autres, nourrie de leurs oeuvres. Mais faut-il les sacraliser et s'interdire de penser après eux?
Fille