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Libération

Cette peur et cette pluie

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publié le 4 octobre 2000 à 5h03

Dans cette inquiétante étrangeté serbe, dans cet entre-deux, ce souffle retenu où chacun se cherche avec sa place, le spectateur d'ici regarde aussi tomber la pluie. Plus que les flics de Milosevic qui dérisoirement s'agitent ­ neuf (!) personnes arrêtées lundi à Belgrade pour «comportement arrogant et inconsidéré» (sic) ­, plus même que le masque morne et gris du dictateur, dont les réactions font simultanément songer à celles d'un père Ubu démonté et à l'arrogance ultime d'un Ceausescu déjà titubant, nous scrutons, sur les images mouillées, les parapluies. Cassant les plans, masquant la profondeur des fleuves humains enfin débondés, les parapluies nous dérangent; à leurs porteurs, on voudrait crier «chapeau!» comme au cinéma, lorsqu'un couvre-chef importun empiète sur l'écran. C'est qu'à Belgrade, depuis dimanche, il pleut, et il nous faut prendre en compte cette pluie. La météo, dans ces moments, constitue un élément qu'on ne saurait négliger. Au printemps dernier et dans ces colonnes, Salman Rushdie relatait comme elle avait fait craindre le pire, en avril 1995, lors de la célébration à Vienne de la fin du régime nazi en Autriche: peu d'heures avant le rassemblement prévu sur la place Helden, il s'était mis à tomber «une pluie dense, sans trêve, implacable. Une pluie néonazie, absolutiste, intolérante», qui, craignaient les organisateurs, ferait, en clairsemant l'assistance, le bonheur des pro-Haider. Pourtant, poursuit Rushdie, sous l'averse, «la place Helden était noir