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Libération

Enseigner à Abbeville

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publié le 30 novembre 2000 à 7h17

Depuis 1766, on se méfiait à bon droit des magistrats d'Abbeville (Somme), qui condamnèrent le Chevalier de la Barre à se voir couper le poing, arracher la langue et brûler vif, pour avoir omis de se découvrir au passage d'une procession de cagots. A ce précédent un peu daté, il faudra désormais ajouter le chapitre de ce procureur de la République du cru faisant droit à une plainte de corbeaux contre un jeune professeur de lettres qui fit lire à ses élèves le Grand Cahier, de la (grande) romancière hongroise Agota Kristof (Libération du 28 novembre). L'histoire est exemplaire, qui réunit tout ce qui nous pourrit la vie, dès lors qu'il est question d'enfants (chéris) et d'enseignants (honnis): l'obsession pédophilique, avec son armada de justiciers délateurs appelant (c'est leur principe de précaution à eux) à la censure du moindre écrit en lequel il serait peu ou prou question de chair, même la plus triste; l'insupportable prétention parentale, si bien encouragée en son temps par le ministre Allègre (1), de faire, à défaut de leur boulot de parents, la peau des profs; et la diafoireuse académie, dont l'autorité locale et spongiforme, en la personne de son recteur, reprochait à l'enseignant, au mépris de la loi, de n'avoir pas photocopillé le livre pour en distribuer des fragments. Ajoutez le zèle de trois flicards normalement analphabètes saccageant votre bibliothèque avant de vous embarquer pour trois heures de garde à vue, et vous aurez une idée de ce qui attend un néo-pro