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Libération
Critique

L'intellectuel en phase terminale

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publié le 16 décembre 2000 à 8h13

Jamais on n'a autant moqué les «intellos», et pourtant jamais ils n'ont été «aussi envahissants». Tel est le premier paradoxe à la source du nouvel essai de Régis Debray, grand expert du «pouvoir intellectuel en France», pour reprendre le titre de l'un de ses ouvrages. Le second paradoxe découle du premier: les intellos français (les «I.F.», selon la terminologie de l'auteur) n'ont jamais été aussi «envahissants», et pourtant ils agonisent. Ou ils ont changé tellement de nature qu'ils sont devenus méconnaissables.

Impossible pour Debray de relier Zola et Barrès à Sollers et B.-H. Lévy: les deux premiers sont des «I.O.» ­ «intellectuel original, version 1900» ­ quand les deux derniers, jamais nommés mais souvent désignés, relèvent de l'«I.T.», autrement dit de «l'intellectuel terminal, version 2000». Entre les deux catégories, un siècle d'abandons, d'errances et d'encroûtements, accélérés depuis trente ans par la montée en puissance de la société médiatique et «l'irruption de la grande surface dans notre petit commerce» (intellectuel).

Excepté la nomenclature maison, rien de bien nouveau sous le soleil du médiologue: l'intellectuel, cette invention française, se meurt, et Régis Debray n'est pas le premier à le dire. Il expire pour s'être lourdement trompé, ou à tout le moins pour avoir renoncé à son devoir d'insoumission, préférant l'audience à la compétence et les confortables rentes de situation (dans les journaux, les réseaux, les studios) aux ingrats combats de dénonciation