Je ne me fais aucune illusion: si, le 17 octobre 1961, j'avais manifesté dans les rues de Paris, vraisemblablement mon sort aurait été noué à celui des Algériens qui furent parqués, raflés, assassinés et parfois jetés du pont Saint-Michel dans les eaux glacées de la Seine. J'aurais pu être aussi de ceux qui, dans la cour de la préfecture de police de Paris, furent torturés sous le regard du préfet de police d'alors, Maurice Papon. C'est dire qu'aucune compassion, aucune humanité, aucune condescendance ne peut m'animer à l'égard de Maurice Papon. Le recours en grâce auprès du président de la République et la requête déposée par Me Varaut devant la Cour européenne des droits de l'homme pour traitements inhumains et dégradants semblent, par un singulier retournement du droit, mettre Papon à la place de la victime et révoltent, au regard des crimes commis, tous ceux qui furent ses victimes.
Cette démarche nous défie et nous interpelle sur le terrain le plus précieux et le plus sacré de notre éthique: la mise en pratique de l'universalité et de l'indivisibilité des droits de l'homme, de tous les hommes, fussent-ils les plus criminels et les plus abjects. Faiblir aujourd'hui sur ce terrain donnerait à celui dont l'oeuvre fut la négation absolue de ces principes une ultime victoire en creux contre nos valeurs. Ce serait tomber dangereusement et naïvement dans le piège qu'il nous tend: celui de la victimisation dont il se drape. Cette stratégie par ricochets serait catastrophique. El