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Libération
TRIBUNE

Quand l'amour étouffe la victime

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par Jean-Jacques Delfour
publié le 16 février 2001 à 22h57

Pourquoi de nombreux débats autour de la Shoah virent-ils si inéluctablement à une polémique souvent stérile où les contradicteurs s'accusent mutuellement de mauvaise foi ou de stupidité ? Tout se passe comme si chacun se croyait au coeur de la chose même. Sur cette certitude apparemment inébranlable, chacun répudie avec morgue les positions d'autrui, toujours incapable, inapte et lâche, stupide ou mal intentionné. Pourquoi faut-il que le débat autour de ces questions tourne à l'accusation d'infériorité intellectuelle et au soupçon de bassesse morale ? Pourquoi est-ce toujours la position de l'autre qui n'est pas tenable ?

Etrangement, cette indéniable agressivité voisine avec un amour explicite et fréquent pour les victimes. Quelle est la portée de cette idolâtrie de la «victime», en visant sous ce terme non pas tant les personnes humaines réelles que ce signifiant récurrent dans les discours ? Pourquoi est-elle si souvent liée à une agressivité qui s'exerce non pas à l'égard des criminels ou de leurs séides mais contre ceux-là même qui partagent cet amour pour les victimes ?

L'identification à la victime sert d'index de vérité, de caution de moralité et de mobile narcissique. A défaut d'avoir sauvé les victimes elles-mêmes, le fait de vouloir les protéger ou de sauver leur mémoire, d'empêcher leur oubli, de narrer leur histoire, de se rapprocher d'elles, de tisser avec elles des liens affectifs, tout cela est narcissiquement exploitable et augmente l'amour de soi. Militer po