Plusieurs mois se sont écoulés déjà depuis que j'ai été libéré de prison, expulsé de Chine et mis dans un avion en direction des Etats-Unis. Je veux pouvoir faire disparaître ce cauchemar. Mais la rationalité exige qu'il n'y ait pas d'oubli, que tout soit mémorisé. Autrement, ces semaines passées en prison l'auront été pour rien. J'avais sous-estimé le prix à payer pour vouloir publier une revue littéraire indépendante en Chine. Je ne suis pas un militant, je ne m'étais pas préparé à l'idée que j'aurais à aller en prison. Lorsqu'on m'annonça tout d'un coup que je devais embarquer dans le vol d'Air China pour les Etats-Unis le lendemain, je tentais d'expliquer que, désormais libre, je pouvais décider moi-même quand quitter le pays. Mais la police insista pour que je parte, afin de jouer le rôle qui m'était imparti dans le jeu des relations sino-américaines.
Je n'avais pas d'autre choix que de quitter la prison, mais aussi Pékin. Dans la voiture de police qui se dirigeait vers l'aéroport, je sentis soudainement mes larmes couler. Comment pouvais-je m'effondrer comme ça? Il m'était difficile de laisser échapper cette ville que j'aime si passionnément. J'eus le fort pressentiment que, peut-être, je n'y reviendrai pas. J'en étais dépouillé. A la demande de mes parents, j'ai cessé toute communication avec eux, et avec mon frère Huang Feng, afin qu'ils puissent retrouver le cours normal de leur vie à Pékin. Ce fut un coup dur et cruel pour moi, mais la seule manière de les soulager