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Libération
TRIBUNE

Les bûchers de notre vanité

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par Denis MARQUET
publié le 18 avril 2001 à 0h31

Par milliers, des carcasses entassées rôtissent à perte de vue. On distingue des pattes, pointées vers le ciel, parfois la silhouette de ce qui fut un animal. Une voix prononce des chiffres, abstraits. Des dizaines, des centaines de milliers. Et puis ce mot: détruire. Le commentaire télévisé ne dit pas «tuées». Il dit «détruites». Le mot ne semble pas adapté. Ce qu'on détruit, ce sont des objets, des choses inertes. Mais des êtres vivants? Les supprimer, cela ne s'appelle-t-il pas les tuer? On dira: ce n'est là qu'une manière de parler, un euphémisme; à l'insoutenable des images, on voudrait ne pas ajouter la dureté du vocabulaire. Mais l'explication est un peu courte. Et si, au fond, le mot était juste? Non pas, certes, pour désigner la réalité: ces moutons, ces vaches et ces cochons atteints de fièvre aphteuse sont des êtres vivants, et on ne les «détruit» pas, on les tue. On les tue même en si grand nombre qu'il faudrait dire: on les massacre. Mais le mot est juste, pourtant. Car il désigne notre rapport à la réalité. Notre rapport à la vie.

Ces animaux, pour nous, dans la manière dont nous les considérons, dont nous les traitons, ne sont pas des êtres vivants, mais une matière inerte, sans vécu ni ressenti, que l'on peut consommer et détruire selon notre bon vouloir. Pourquoi, en effet, un tel massacre? La fièvre aphteuse est une maladie bénigne. Certes, elle est extrêmement contagieuse, mais elle ne tue pas, et l'animal infecté guérit très vite. Quant à sa viande, sa con