Au soir du 10 mai 1981, la gauche était rimbaldienne. Dans l'allégresse de la victoire, elle croyait pouvoir changer la vie, enterrer le vieux monde, inventer une nouvelle société, larguer les amarres du capitalisme, voguer vers un socialisme onirique. Vingt ans après, la révolution demeure introuvable. Là où les militants de François Mitterrand rêvaient de rupture sociale, ils ont dû se contenter d'une alternance politique. Derrière le masque de son talent unique, en quatorze ans de présidence, Don Quichotte s'est métamorphosé en Sancho Pança. Au total, la société française a plus changé François Mitterrand que François Mitterrand n'a changé la société française.
Bien sûr, les commencements furent trompetants. Tous les totems du grand tournant avaient été réunis. La peine de mort fut abolie, les tribunaux d'exception aussi. Robert Badinter garde des Sceaux, la France devenait enfin un Etat de droit. Un train social sans précédent depuis mai 1968, peut-être même depuis juin 36, fut promptement mis sur les rails par le gouvernement Mauroy, avec les 39 heures, la retraite à 60 ans, la cinquième semaine de congés payés, un relèvement substantiel du Smic. Une politique culturelle ébouriffante émergeait. Surtout, un convoi de nationalisations d'une ampleur inédite en Europe démocratique, comprenant la quasi-totalité du secteur bancaire et financier, ainsi que les principales entreprises industrielles, s'ébranlait bruyamment. La France virait au carmin. Deux septennats plus tard, e