Je ne regarderai pas Loft Story. Pour parler de Loft Story, le mieux est peut-être de ne pas le regarder. Il y a des émissions qui vont sans voir, sinon sans dire. Elles se fabriquent et se répandent dans le bavardage et le désir des autres. Elles en constituent la matière. L'une des fonctions de la télévision est d'inventer ce type d'émissions; leur degré de moralité est tout à fait secondaire. On ne les a pas vues, mais on sait tout: les noms, les situations, les indignations. Et comme il est inutile de regarder Loft Story pour savoir ce qui s'y montre, il n'est pas nécessaire de lire ce qui s'écrit dessus pour connaître le fonds réchauffé de la question philosophique en cours: sommes-nous devenus des voyeurs? Sommes-nous des êtres obscènes? Etc. La réponse est oui. La télé de masse offre, aux pauvres de corps ou d'esprit, un fantasme idéal: elle leur permet d'exister un peu, soit en regardant, soit en étant regardés. Elle a remplacé les mystères, festivités, carnavals qui, jusqu'au XVIIe siècle, permettaient aux gens du peuple, aux pauvres de corps et d'esprit, de trouver, dans la rue, des lieux où exprimer leur humanité et se mettre en scène dans un cadre festif. Rien de nouveau.
La télé a remplacé la rue et les producteurs les margoulins d'estrade. Les misérables, eux, sont toujours là et le spectacle continue. Ils jouent leurs pauvres rôles sous les cris choqués d'une Eglise intellectuelle et politique qui n'a pas fait grand-chose, depuis vingt ans, pour que ces pauvres