Une autre façon d'aller au cinéma, une façon douce, sans craindre les zyvas ni les bruyants, c'est d'aller voir le film que Pierre Carles a consacré au travail de Pierre Bourdieu. La sociologie est un sport de combat mesure comme le bruit médiatique fut vain, voici trois ans, quand Bourdieu devint le diable et Carles son disciple. L'un et l'autre, en auteur-éditeur (Sur la télévision, les Nouveaux Chiens de garde d'Halimi, etc.) ou en cinéaste (Pas vu, pas pris), en révélant les dessous peu affriolants du journalisme de connivence, avaient jeté dans le marigot du landernau un pavé bruyant. En restait, en achetant son billet, la crainte instinctive d'une suite apologétique qui, exploitant le filon polémique, eût figé chacun dans son rôle convenu et surjoué: gentil (Bourdieu) et méchants (ses détracteurs) guignolisés par la caméra d'un Pierre Carles forcément voyou ou excessivement dévoué à BourDieu, comme disent ses ennemis vivaces. Ainsi, de façon tautologique, le fond de l'air idéologique interdisait que l'objet du film fût la sociologie, et non Pierre Bourdieu... Evidemment, ce n'est pas ça. A rebours, Carles dérange son monde et jusqu'à ses partisans dans un film apaisé, comme en témoigne un public qui ne manifeste pas; c'est là le point, et là que Pierre Carles marque les siens. Qui attendait Bourdieu en diva (sur le modèle de Sartre aux grilles Renault-Billancourt) le découvre dans le contrepoint et le contre-pied du travail de tous les jours sa véritable légitimité.
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