Je voulais cracher
Je fus, en Algérie, ce que vous qualifiez gentiment d'«homme de rang». Je dirais : l'un de ces «culs-de-plomb», de ces «gus», de ces pauvres types qui, par centaines de milliers, à partir du règne du bon Guy Mollet («pensons à nos vieux !»), furent jetés dans cette merde par le pouvoir politico-militaire de l'époque. Ces gamins étaient pourtant innocents des péchés de la colonisation et, pour la plupart, avaient le sentiment, fondé ou non, d'être parfaitement étrangers à ce pays.
Dans cette Algérie sur laquelle je me proposais de cracher du bastingage du bateau, une fois la quille venue... mais je suis rentré en Bréguet Deux-Ponts en février 1961 : quelle frustration ! comment voulez-vous cracher d'un hublot d'avion ? j'ai perdu le meilleur ami de ma jeunesse, tué au combat. Je n'ai torturé personne, mais je n'aurais pas hésité à «allumer» celui qui m'aurait tiré dessus. Je n'ai manqué de respect à quiconque, même pas à la jolie fille de la blanchisseuse qui, la folle, voulait faire des études pour travailler et tenait à choisir elle-même son mari : je pense toujours à elle et à ses rêves comme je penserais à ma propre fille. J'ai même fait plusieurs fois de l'auto-stop (sans arme) entre Aumale et Bouira, et les seuls à m'emmener furent des Français musulmans ; je les salue comme des amis. Les seules insultes que j'ai reçues me sont venues d'une jeune Européenne, en décembre 1960, alors que j'étais en mission à Alger : «Vous autres, les militaires du con