Au métro Anvers, à Paris, en bas de la butte du Sacré-Coeur, il y a souvent des mendiants estropiés qui exhortent les passants à la prodigalité en agitant une timbale qui résonne de quelques piécettes. Souvent ce sont des adultes, aujourd'hui c'est un enfant d'une dizaine d'années. Il est assis contre une haie de bois qui borde un petit passage aménagé contre un immeuble en construction; cette passerelle est un gué incontournable pour qui veut éviter de se faire bousculer par les cars de touristes toujours très nombreux dans ce quartier. L'enfant occupe cette petite passerelle dans presque toute sa largeur, pas totalement parce qu'il n'a plus de jambes, ce qui laisse aux quidams un demi-mètre pour passer devant lui et continuer leur chemin, l'enfant se balance en secouant sa timbale, seul apparemment dans son misérable repli autistique, mais sans doute épié à quelques mètres par un parent qui viendra relever de temps en temps sa maigre recette. Son univers visuel se réduit à ses moignons au-dessus desquelsÊtricotent les jambes des passants à hauteur de son visage baissé; il a sur le crâne une tonsure qui lui prend tout le côté gauche, toute luisante et cartonnée: on dirait une brûlure. On est quasiment obligé de l'enjamber pour continuer sa route. Je l'enjambe. Je ne peux pas m'arrêter tout de suite pour lui donner une pièce parce que l'étroit goulet menace d'être embouteillé par le passage. Je reviens vers lui; il ne dit rien mais considère longuement cette petite obole que
En cet instant, ni lui ni moi n'appartenons à l'humanité
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publié le 8 septembre 2001 à 0h46
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