On ne fait pas l'analyse sauvage d'un mort. Ce serait indécent. En revanche, il est possible d'émettre une hypothèse, de mettre une étiquette sur le pot autour duquel semblent tourner certains commentateurs après la mort de Pierre Bourdieu. Une expression qui peut avoir valeur d'explication d'une partie de son travail et surtout de la haine qu'il a pu susciter. Cette expression, c'est celle de «névrose de classe». Forgée en 1987 par Vincent de Gaulejac, un sociologue clinicien, auteur du livre du même nom (1), elle désigne cette structure psychique particulière qui touche les individus dont la promotion sociale, à travers l'école notamment, a été vécue douloureusement. Un passage contrarié d'une classe sociale à l'autre, ressentie comme une trahison des parents, un éloignement du milieu d'origine, une «rupture d'identification» très fréquente chez les intellectuels dont Jean-Paul Sartre disait qu'ils étaient «des produits loupés des classes moyennes».
Le Nouvel Observateur du 31 janvier-6 février nous en apprend un peu plus sur la «névrose de classe» propre à un Pierre Bourdieu dont on connaissait déjà les origines modestes et provinciales. Le professeur s'était attelé à rédiger lui-même un récit autobiographique intitulé: «Esquisse d'une socio-analyse» (2). Il y raconte sur une soixantaine de pages sa vie de lycéen très tôt saisi par les différences sociales qu'il retrouvera décuplées dans l'ambiance bourgeoise d'une khâgne de la capitale. «La violence des interactions prena