Quels projets de justice sociale nous proposent les candidats ? Difficile à dire. D'autant que certains mots semblent s'être absentés de la campagne : «égalité» est de ceux-là. Or, comment concevoir un projet de justice sociale qui ne passe pas par la visée d'une certaine égalité entre les citoyens ? Le vocabulaire est piégé, dira-t-on. Pour beaucoup, celui de l'équité serait plus adapté à l'instabilité des positions sur le marché de l'emploi, à «l'individualisation de la société» et à la «fin des classes sociales». Pourtant, notre société n'est pas plus fluide qu'autrefois. Elle reste travaillée par d'importantes distances de classe et par des inégalités persistantes : les personnes touchées par la pauvreté aujourd'hui ont un risque de rester pauvres dans les années à venir sept à dix fois plus important que les autres.

Le problème est que ces inégalités ne trouvent plus d'expression politique pertinente. Pourquoi ? Parce qu'elles ne sont plus compréhensibles à partir des grandes communautés de destin dans lesquelles les «travailleurs» de la société industrielle pouvaient se reconnaître. Or, notre façon de concevoir la justice sociale reste celle de la société industrielle. Elle privilégie la réduction des inégalités de fait, celles constatées après coup entre grandes catégories socioprofessionnelles, plutôt que les inégalités devant l'avenir. Elle lutte contre les emplois à bas salaire et sans statut plutôt que contre les processus de précarisation, puis d'exclusion, suscep