Le romancier britannique, auteur notamment des «Versets sataniques», livre chaque mois une chronique à «Libération».
En novembre dernier, j'ai erré tout un long et triste après-midi dans les ruines fumantes du World Trade Center. Je tentais d'accepter cette vision d'horreur, murmurant des phrases compatissantes à des inconnus en état de choc. J'en suis persuadé, les personnes rassemblées sur le site n'étaient pas des voyeurs. Elles étaient motivées par la noble volonté de porter témoignage, et affichaient toutes le même désarroi. En revanche, chez ceux qui venaient là chaque jour (le personnel d'urgence, les commerçants et les employés des bureaux voisins), j'ai perçu quelque chose de sensiblement différent, qui s'apparentait à la fuite- une façon de détourner la tête face à l'insupportable, pour trouver la force de continuer. J'ai marché pendant des heures, en les dévisageant, à la quête d'une impossible réponse. Personne n'a semblé s'en offusquer : à cette époque, une telle promiscuité paraissait nécessaire, voire réconfortante.
Mon regard était sans cesse attiré vers le ciel vide. Nombreux sont ceux qui ont évoqué, oralement ou par écrit, la puissance de ce vide laissé par les tours dans le paysage. Le regard les cherche là où il avait l'habitude de les trouver, et ne peut se résoudre à ne plus les voir. Leur absence est devenue présence.
Ce jour-là, à Ground Zero, il m'a semblé qu'au creux de ce néant, les particules de l'air se resserraient, faisant soudain jaillir, dans u