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Libération

«Français»et «normal»

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publié le 24 octobre 2002 à 1h31

Le problème, avec ce révélateur de psychose floue confusément baptisée «sentiment d'insécurité», réside surtout dans sa volatilité : l'éteindre ici, c'est nécessairement l'allumer ailleurs, et, sauf à noyer tout le pays sous une couche épaisse de neige policière, on perçoit mal comment le ministre Sarkozy, quand il aura fini de brasser de l'air pour attiser le feu de ses mots, sortira indemne de ses gesticulations d'apprenti sorcier. Et l'on a frémi, hier, à la lecture (voir Libération du 23 octobre) du témoignage de cette Orléanaise déclarant tout de go : «Un Français qui aujourd'hui n'éprouve pas ce sentiment (d'insécurité) n'est pas quelqu'un de normal.» Un tel propos, qui ­ énoncé en toute bonne foi, et c'est bien là le problème ­ réalise la performance de placer en une phrase brève et définitive les deux bombes sémantiques que font les mots «Français» et «normal», augure mal de la cohabitation pacifique dans les cages d'escalier, qu'une droite en chaussures à clous fait semblant d'appeler de ses voeux. Aux bons apôtres qui aspirent à interdire les rassemblements de lascars plus ou moins facétieux, mais certes volontiers insolents dans l'expression de leur désoeuvrement, on suggérera d'aller un peu y faire un tour. Et de réfléchir à deux fois avant de remplacer, dans les halls des barres inhumaines, le sound-system par le flash-ball, et le pitbull par le berger allemand. On sait les mécanismes de la trouille, et à quels excès elle donne lieu quand s'entretient l'illusion