Depuis un demi-siècle, l'Europe est habitée par les tourments du repentir. Ruminant ses crimes passés, l'impérialisme, le fascisme, le stalinisme, elle ne voit dans sa longue histoire qu'une continuité de tueries et de pillages qui ont abouti aux deux conflits mondiaux. L'Européen moyen, homme ou femme, est un être d'une sensibilité extrême toujours prêt à s'apitoyer sur les malheurs du monde, à s'en attribuer la responsabilité. La preuve : dès le 11 septembre au soir, une majorité de nos concitoyens, en dépit d'une sympathie pour les victimes, se sont dit que les Américains l'avaient bien mérité. N'en doutons pas : le même raisonnement eut prévalu si les terroristes avaient détruit la tour Eiffel ou Notre-Dame. On nous frappe, donc nous sommes coupables. Spontanément nous donnons raison à nos ennemis dans le jugement que nous portons sur nous-mêmes.
Or, l'Europe a sans doute enfanté des monstres ; elle a du même geste enfanté les théories qui permettent de penser et de détruire les monstres. Sa singularité, c'est un paradoxe poussé à l'extrême : l'arbitraire féodal a engendré la démocratie, l'oppression de l'Eglise l'esprit d'examen, les conquêtes outre-mer l'anticolonialisme, les idéologies révolutionnaires le mouvement antitotalitaire. Pareil à un geôlier qui vous jette en prison et vous glisse dans la main les clefs de la cellule, l'Europe apporta au monde à la fois le despotisme et la liberté. L'aventure coloniale est morte de cette contradiction fondamentale : assujetti