Face à l'interminable défilé d'artistes en promotion, on a de plus en plus souvent le sentiment que quelque chose ne colle pas : l'image qu'ils veulent donner d'eux-mêmes ne correspond pas aux valeurs que révèlent leur attitude, leur pratique, leur mode de vie et les circuits de notoriété qu'ils emploient. Les deux semblent même se contredire. Ils se posent en marginaux ou en aristocrates d'un système qu'ils incarnent ou légitiment parfaitement.
Le livre du sociologue Pierre-Michel Menger donne une explication à ce malaise. Elle part d'une hypothèse simple : les artistes sont devenus les meilleurs fourriers du capitalisme ; pis, l'art est devenu son «principe de fermentation». Autrement dit : «Non seulement les activités de création artistique ne sont pas ou plus l'envers du travail», mais «elles sont au contraire de plus en plus revendiquées comme l'expression la plus avancée des nouveaux modes de production et des nouvelles relations d'emploi engendrés par les mutations récentes du capitalisme».
L'horrible langue sociologique de Menger écrase sans pitié toute ombre de style et d'affirmation, comme si elle en avait peur ; elle ne masque pas entièrement le plaisir qui inspire cette mise à nu. Les qualités vendues par la vulgate artistique sont, selon Menger, exactement celles que le capitaliste exige désormais de ses employés : hyperindividualisme, créativité, mobilité, flexibilité, goût du nouveau et du risque, mais aussi acceptation des vacances forcées et des inégalités les