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Libération
TRIBUNE

Les frites enrôlées dans la guerre des mots

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par Louis-Jean CALVET
publié le 14 mars 2003 à 22h04

Ainsi les restaurants du congrès américain ne vendent-ils plus désormais de french fries mais des freedom fries.

Chacun mesurera l'efficacité du changement, puisque, derrière l'une ou l'autre de ces expressions il y a toujours la même chose, des frites, et que même si l'on élargissait ce ménage sémantique en balayant french dressing (vinaigrette), french window (porte-fenêtre), french polish (vernis au tampon), french letter (capote anglaise), french kiss (baiser sur la bouche), etc., au profit de freedom dressing, freedom window, etc., la face du monde n'en serait guère changée.

Mais il faut cependant prendre au sérieux cette intempestive intervention de politique linguistique, car, outre qu'elle rappelle bien sûr le 1984 de George Orwell, roman dans lequel un régime totalitaire croyait pouvoir transformer la réalité en changeant les mots qui la désignaient, elle correspond à une tendance américaine forte. C'est après tout aux Etats-Unis que l'on croit, ou que l'on joue à se faire croire, qu'il suffit de rebaptiser les Indiens Native American pour effacer le souvenir de leur massacre, qu'il suffit de remplacer Black par African American pour faire oublier le racisme, bref que l'on peut repeindre le lexique et que ce nettoyage de printemps suffit à changer les situations. De ce point de vue, le politiquement correct permet de changer à bon compte non pas le monde mais son expression linguistique. Dans ce domaine, et malgré toutes les exceptions culturelles, la société français