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Libération

Le Chinois

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publié le 24 mars 2003 à 22h19

Cette guerre, chacun évidemment la lit à sa montre, et c'est ainsi qu'on peut constater que nous sommes en plein dedans. Dans mon quartier de fin de semaine, le vendeur de brochettes qui migra d'Istanbul à Paris était taiseux, le kiosquier africain dubitatif, le patron juif du pressing, branché en permanence sur Europe 1, le bistro à thé du boulevard volubile de rumeurs nerveuses, et chez le Chinois qui me tient lieu de cantine, c'était encore autre chose. Je dis «le Chinois» pour la restauration de bouche comme on dit «l'Arabe» pour l'épicerie tardive, c'est un terme générique et convenu, mais le serveur familier n'y est pas chinois ; appelons-le tout de même Kyo, comme le héros de la Condition humaine, puisque c'est de cela qu'il s'agit. Les yeux bridés et le sourire énigmatique, tel que dans le répertoire des idées reçues, Kyo, pour sa clientèle franchouillarde de souche, est seulement asiate. Vendredi, il était hors de lui. C'était surprenant, et plus encore de découvrir que l'objet de son ire s'appelait Jacques Chirac. C'est que Kyo avait ouï dire le matin, sur quelque transistor, l'annonce d'une «assistance technique française» aux alliés, en cas d'usage d'armes chimiques par l'Irak, et y avait perçu comme les prémices d'un honteux ralliement à la coalition anglo-américaine. Cette hypothèse le choquait et effrayait d'autant plus qu'il venait d'apprendre qu'avaient décollé de Grande-Bretagne huit B52. Parfois, il suffit d'un seul mot et pour Kyo, ce fut ce mot-là. Quoi